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Loi ASAP, cheval de Troie de la relance ? - Veille janv. 2021



Initialement pensé comme une réponse aux critiques émises lors du grand débat national concernant l’accès aux services publics, le projet de loi d’accélération et de simplification de l’action publique, déposé au Parlement le 5 février 2020, a connu un destin tout autre avec la crise sanitaire. En effet, le gouvernement a décidé, afin de prévenir les conséquences économiques de l’épidémie, d’introduire par amendement des dispositions relatives à la commande publique pour en faire un instrument de relance économique. Au projet de loi initial de 50 articles s’est ajouté plus d’une centaine de dispositions diverses touchant à la commande publique, mais aussi à l’environnement, aux établissements publics voire au droit pénal !


Le texte adopté définitivement le 28 octobre 2020 a été qualifié de « fourre-tout » par la doctrine. Il existait un réel risque de censure de ces dispositions par le Conseil Constitutionnel, notamment s’il en caractérise de « cavaliers législatifs », dispositions n’ayant pas de lien, même indirect, avec le projet de loi initial (article 45 de la Constitution). Par une décision n°2020-807 DC du 3 décembre 2020, le Conseil Constitutionnel a censuré 26 articles qu’il a qualifiés de cavaliers législatifs, mais aucun relatif à la commande publique. La réforme assouplissant la commande publique afin de relancer l’économie a donc bien pu avoir lieu. La loi ASAP a été promulguée le 7 décembre 2020.


Une disposition relative aux marchés de service juridique dans le projet initial


L’article 140 de la loi ASAP permet d’inclure dans le champ des « autres marchés » les services juridiques de représentation légale d’un client par un avocat et les services de consultation juridique dans le cadre d’une procédure juridictionnelle ou d’un mode alternatif de règlement des conflits. Ces marchés de service sont donc exclus du champ des procédures de passation. Cette exception était prévue par les directives européennes mais n’avait pas été transposée jusqu’alors.


ü Au point 39, le Conseil Constitutionnel s’est appuyé sur cette disposition prévue dès le projet de loi initial pour considérer que l’ensemble des dispositions relatives à la commande publique introduites par la suite ont un lien avec le projet de loi, et donc ne sont pas des cavaliers législatifs. Cette disposition a permis l’introduction de la commande publique dans la cité de Troie…


Un nouveau cas de recours pour les contrats de gré à gré :

le motif d’intérêt général


L’article 131 de la loi ASAP ajoute une nouvelle hypothèse permettant de conclure un contrat de gré à gré au sein de l’article L2122-1 du Code de la commande publique. Il est maintenant possible de conclure un contrat sans publicité ni mise en concurrence si le respect d’une telle procédure est manifestement contraire à un motif d’intérêt général. Il revient au pouvoir réglementaire, et non à l’acheteur, d’édicter par décret les possibilités de recours à cette dérogation. Elles doivent être précises, proportionnées et respecter les directives européennes. La dérogation est donc seulement applicable pour les contrats dont le montant est inférieur aux seuils européens de procédure formalisée. L’objectif est ici de faciliter la passation de contrats de la commande publique afin de relancer l’économie par l’investissement public.


ü Aux points 43 et 44, le Conseil Constitutionnel considère cette disposition conforme à la Constitution. Pour autant, il émet une réserve d’interprétation, l’acheteur public doit respecter les exigences constitutionnelles d’égalité devant la commande publique et de bon usage des deniers publics.


Le relèvement provisoire du seuil des marchés publics de travaux à 100 000 euros


L’article 142 de la loi ASAP prévoit de relever le seuil de dispense de publicité et de mise en concurrence des marchés publics de travaux à 100 000 euros hors taxes. L’objectif de cette disposition est de faciliter la passation de ces contrats afin de permettre une reprise rapide des travaux publics et donc de soutenir le secteur du BTP. Cette disposition est provisoire, elle est applicable jusqu’au 31 décembre 2022.


Au point 57, le Conseil Constitutionnel émet la même réserve d’interprétation que la précédente, les principes d’égalité devant la commande publique et de bon usage des deniers publics s’appliquent donc.


La pérennisation du dispositif de l’ordonnance du 25 mars 2020


L'article 132 de la loi ASAP introduit de nouveaux articles dans le Code de la commande publique afin de permettre au gouvernement de déroger, par décret, en cas de circonstances exceptionnelles, aux règles de passation et d'exécution des marchés publics. Les nouvelles dispositions étaient pour la plupart déjà prévues, à titre temporaire, par l'ordonnance du 25 mars 2020 portant sur l'adaptation du régime des contrats publics à la crise sanitaire.


A ce titre, l'acheteur peut modifier une procédure de passation en cours à la survenance de circonstances exceptionnelles, sous réserve de respecter l'égalité de traitement des candidats (CCP, art. L2711-3 ; article 3 de l'ordonnance du 25 mars 2020).


De même, le nouvel article L2711-5 du Code de la commande publique prévoit la prolongation par avenant des marchés publics arrivant à échéance pendant la période de circonstances exceptionnelles, pour une durée limitée à celle nécessaire à l'organisation d'une nouvelle mise en concurrence (cf article 4 de l'ordonnance du 25 mars 2020).


Des accommodations sont également dédiées à la période d'exécution du contrat : le titulaire d'un marché peut demander la prolongation du délai d'exécution qui ne peut être respecté en raison des circonstances exceptionnelles. Enfin, les entreprises ne pourront être sanctionnées en cas de difficultés d'exécution dues aux circonstances exceptionnelles (CCP, art. L2711-7 & L2711-8 ; article 6 de l'ordonnance du 25 mars 2020).


S'agissant des contrats de concession, les articles L3411-1 et suivants du Code de la commande publique accordent les mêmes prérogatives au gouvernement et aux autorités concédantes.

En tout état de cause, il faudra toujours un décret pour permettre l'application de ces nouveaux articles, si bien que la reconnaissance de circonstances exceptionnelles incombe au pouvoir réglementaire. Les nouvelles dispositions n'étendent pas le pouvoir d'appréciation des acheteurs et autorités concédantes.

ü Aux points 46 et suivants de sa décision du 3 décembre 2020, le Conseil constitutionnel écarte le grief tiré de la méconnaissance du principe de clarté de la loi. Il considère en effet que les « circonstances exceptionnelles » permettant de prévoir des règles dérogatoires ne peuvent être que celles qui ont été définies par les lois qui fondent l'édiction des décrets d'application (point 49). L'article n'a donc pas été censuré par le Conseil constitutionnel.


Extension des cas de recours aux marchés globaux


L’article 143 de la loi ASAP ajoute un nouveau type de marché global sectoriel au sein de l’article L2171-4 du Code de la commande publique. Il est ainsi possible de déroger à l’obligation d’allotissement et aux dispositions sur la maîtrise d’ouvrage publique pour la conception, la construction, l’aménagement, l’exploitation, la maintenance ou l’entretien linéaires de transport de l’Etat.

De plus, l’article 144 de la loi ASAP élargit les possibilités pour la Société du Grand Paris de recourir aux marchés globaux sectoriels à la construction et à la valorisation des immeubles connexes aux gares (CCP, art. L2171-6).


Dans sa décision, le Conseil Constitutionnel ne s’est pas prononcé sur ces deux dispositions. Pour autant, lors du séminaire de Contrats globaux et montages complexes, Maître Tenailleau a rappelé que ces contrats globaux sectoriels dérogeaient au droit commun de la commande publique. Leur recours est donc censé être conditionné et limité (Décision n°2003-473 DC du 26 juin 2003, Loi habilitant le Gouvernement à simplifier le droit).


Une part d’exécution des marchés globaux réservée aux PME


L’article 131 de la loi ASAP impose une part minimale d’exécution que le titulaire doit réserver aux PME ou artisans, pour les marchés globaux listés à l’article L2171-1 du Code de la commande publique. Cette obligation était d’ores et déjà prévue pour les marchés de partenariat. Cette part minimale d’exécution implique une sous-traitance du titulaire du contrat aux PME, il n’est pas ici question d’allotissement. La quote-part minimale sera fixée par décret. De plus, la part d’exécution réservée aux PME et artisans peut être un critère de sélection lors des procédures de passation (CCP, art. L2152-9).


Le Conseil Constitutionnel n’a pas contrôlé cette disposition. Une telle protection des PME et artisans pourrait contrevenir au principe d’égalité.


Une protection des entreprises en redressement judiciaire


L'article 131, I, 2°, de la loi ASAP modifie l'article L2141-3 du Code de la commande publique en soustrayant les entreprises en difficulté bénéficiant d'un plan de redressement de celles exclues de plein droit de la procédure de passation. Ainsi, une entreprise en redressement judiciaire, c'est-à-dire incapable de payer ses dettes grâce à son actif mais qui envisage la poursuite de son activité et l'apurement de son passif, peut candidater à un marché public dès lors qu'elle bénéficie d'un plan de redressement.

Cet article s'inscrit dans le prolongement de l'ordonnance du 17 juin 2020 portant diverses mesures en matière de commande publique (article 1), qui prévoyait, temporairement, une exception au motif d'exclusion des entreprises aujourd'hui concernées par la loi ASAP.

Les entreprises en redressement judiciaire sont aussi protégées en cours d'exécution du contrat. L'article 131, I, 5° de la loi modifie l'article L2195-4 du Code de la commande publique aux termes duquel le titulaire d'un marché doit informer l'acheteur dès qu'il se trouve dans un des cas d'exclusion en cours d'exécution du contrat. En principe, il s'agit d'un motif de résiliation du marché. Toutefois, l'acheteur ne peut résilier le marché au seul motif que l'opérateur économique est en redressement judiciaire. Avant la loi ASAP, le code ajoutait comme condition que l'opérateur économique ait informé l'acheteur de son changement de situation, condition qui est désormais supprimée. Donc une entreprise en redressement judiciaire ont plus facilement droit au maintien des marchés publics conclus avant la survenance de leurs difficultés.

Le Conseil constitutionnel n'a pas eu à se prononcer sur la validité de cette protection.


Conclusion : une réforme majeure de la Commande publique sans étude d’impact


Bien que ce ne fût pas son objet principal, la loi ASAP entraîne une réforme importante du droit de la commande publique. L’objectif est simple et partagé au niveau européen, la commande publique est un instrument de relance économique. L’investissement public permet de tempérer les conséquences économiques de la crise sanitaire en créant de l’activité et donc de l’emploi. La loi ASAP entreprend donc d’accélérer l’investissement public en assouplissant les règles procédurales propres à la commande publique, mais aussi certaines règles d’exécution. Elle le fait dans les limites des obligations du droit européen ainsi que des principes constitutionnels d’égalité de traitement des candidats et de protection des deniers publics.


La réforme de la commande publique portée par la loi ASAP est donc de grande ampleur. Elle répond à des enjeux actuels dus à la crise sanitaire. Cependant, les nombreux amendements introduits a posteriori pour réorienter le projet de loi vers ces nouveaux impératifs n’ont fait l’objet ni d’une étude d’impact ni d’un examen par le Conseil d’Etat, ce qui est préjudiciable d’un point de vue légistique. De plus, le lien de ces amendements avec la disposition initiale est ténu. Cette dernière se limite à la transposition d’une directive européenne, sans rapport plus ou moins direct avec la crise sanitaire, tandis que les amendements introduits sur son fondement poursuivent un objectif plus large de relance économique. La loi ASAP apparaît ainsi être une ruse d’Ulysse. Bien loin des préoccupations initiales quant à la simplification de l’action publique, le gouvernement a su instrumentaliser la procédure d’adoption législative afin d’adapter rapidement et efficacement la commande publique aux enjeux actuels de la crise sanitaire.

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